« au creux de cette nuit bouleversée, tempête obscure, étincelles d'écumes dans le noir, vagues comme des échafaudages qui s'écroulent, le bruit, les rafales sonores, furieuses de sons et de vitesse, lancées sur la croupe de la mer, dans les nerfs du monde, océan mer, colosse ruisselant, bouleversé - (…) qui l'aurait jamais pensé, qu'en embrassant les yeux d'un homme on puisse voir aussi loin – qu'en caressant les jambes d'une jeune fille on puisse courir aussi vite et fuir – fuir loin de tout – voir au loin »

JULIETTE/CHERNOVA/LE VOYAGE/(©ALESSANDRO BARICCO)

   

LA GRANDE CASCADE

Je t’ai dit au-revoir dans un dernier silence,
au-revoir avec les yeux
quand j’aurais voulu dire au-revoir avec ma bouche
avec mes mains avec mon corps,
au-revoir avec des mots de vent,
des mots de sable, avalés par la mer
balayés par les voiles
du bateau qui m’emmenait loin de toi
loin de là où nous avons grandi
de nos escapades sauvages
de nos frasques d’enfants
de notre promesse d’un toujours
il y a mille ans déjà.

Je t’ai dit au-revoir
pour le monde
pour toutes les découvertes encore à faire
pour tous les endroits plus beaux
et plus vivants qu’ici
pour tous les instants trop forts
face au trop peu d’ici trop fade
au goût salé de l’eau qui s’efface
pour tous les rêves
d’une gamine insatiable
et je ne sais pas si tu pourras me pardonner
un jour.

Je t’ai dit au-revoir
et tu m’as dit
du bout du monde, on ne revient pas.
 


   

silence

Ne me regarde pas s’il-te-plait,
tu sais que je ne suis pas celle que je voulais être.

Ne me regarde pas,
je sais que je ne devrais pas être là,
et pourtant c’est ici que mes voiles m’ont ramenée,
ici que mon cœur criait de rentrer,
ici que je m’imaginais quand je tremblais
durant les nuits trop froides, les nuits d’orage
les nuits de tempête
- ne disais-tu pas que c’était moi, la tempête ?

Ne me regarde pas,
je ne veux pas voir l’accusation silencieuse de tes yeux
c’est pour ça que tu es partie ?  
pour revenir aujourd’hui,
comme si rien ne s’était passé,
comme si tu n’avais pas choisi
- et ce n’est pas moi, que tu as choisie.

Ne me regarde pas,
je ne suis pas celle que je pensais être,
celle que tu aimais au moins un peu,
l’aventurière intrépide,
prête à affronter tous les dangers
pour découvrir le monde
et les possibles loin d’ici.

Ne me regarde pas,
j’ai vu le monde
comme je le voulais
et j’ai compris
qu’il n’y avait qu’un endroit
auquel j’appartenais vraiment.

Ne me regarde pas,
je suis revenue
du bout du monde.