Il est proche de midi. Pas encore. Bientôt. La journée est assez chaude pour ne pas porter de veste. Le soleil est de la partie. Nous sommes dimanche. Jour de congé. Jour de marché. De grand marché. Il s’étale du port aux petites rues en passant par la place généralement réservée à cet effet le reste de la semaine. L’air ambiant est un festival d’odeurs. Festival de couleurs, de générations. Festival tout court diraient les plus jeunes. Ivy est accompagnée d’une nouvelle connaissance. Une fraiche et neuve amitié. Sans background, sans lourd passé. C’est léger, amusant. Ils arpentent les échoppes le sourire aux lèvres, discutent et rient. Rient beaucoup. Ils chipent l’un ou l’autre petits fruits ou morceaux de gâteau. Pour goûter, pour le jeu. Ils pouffent, trottinent et continuent. Ces lieux, cette atmosphère … il y a des jours où Ivy à l’impression de retrouver ses 16 ans. D’oublier le reste, son faible genoux. Pas toujours mais de temps en temps. Peut-être n’était-ce pas une si mauvaise idée de revenir après tout. Un petit coffee shop. Un cappuccino pour lui et un chocolat chaud pour elle. Une petite photo prise au vol, nouveaux rire et ça repart.

Au détour de la place fleurie et de l’autre côté de la fontaine, se dessine une silhouette familère. Entre les jets d’eau qui montent et qui descendent, entre les épaisses gouttes d’eau qui jouent au yoyo, le regard d’Ivy se porte sur celui qu’elle pense reconnaitre comme Nahele. Elle s’arrête. Regarde. Le jeune homme est en action. Pas seul. Il travaille dur. Comme toujours. C’est aujourd’hui un homme, un vrai. Savant mélange entre douceur, finesse et âge adulte … ou presque. Ivy porte sur cette vision, un doux sourire emplit d’attachement. Elle se retourne vers son comparse du jour et lui chuchote quelques mots à l’oreille. Son ami acquiesce, ils échangent une sympathique accolade et empruntent chacun une voie opposée. Ivy ne quitte pas Nahele des yeux. Son sourire toujours accroché au bout des lèvres. Elle avance. Le pas décidé. Nahele est concentré. Ne la voit pas de suite. Par derrière, Ivy vient à poser une main sur sa haute épaule. Bonjour jeune homme ! Guess what ?? Je t’enlève pour le lunch. Ponctuant sa demande un peu directive d’un petit clin d’oeil complice, elle se retourne vers le collègue de Nahele et lui décroche un sourire appuyé et charmeur. Une heure tout au plus … peut-être deux mais on te ramène ce que tu veux. Elle glisse alors sa main dans celle de Nahele et l’attire sur ses pas, forçant quelque peu la décision de l’un et de l’autre travailleurs. Ivy est de bonne humeur

T’es vêtue d’un débardeur gris et un bermuda beige surement taché. Comme tous les jours tu as déchargé les bacs de poissons au petit matin, pour le mettre sur la place du marché où vous allez les vendre. Ta mère était là très tôt aussi, histoire de commencer à tout mettre en place. Les hommes pêchent, et les femmes vendent, c’est comme ça que les choses se passent ici. Les plus jeunes restent pendant toute la durée du petit marché pour aider les mères, les sœurs, les femmes à vendre. A préparer. Pour porter les courses des plus âgés en échange parfois d’un petit peu d’argent. Et comme tu es l’un des plus jeunes tu restes là une bonne partie de la matinée. Tu es debout derrière l’étal avec ta mère et une villageoise, tu ne sais plus son nom. Pourtant tu la connais depuis plusieurs années. Les gens viennent, achètent et repartent. La vieille dame reste là quelques minutes, regarde le poisson d’un œil méfiant, comme si elle pensait qu’il datait de plusieurs jours, alors qu’elle sait très bien qu’il date du matin. Elle vous a vu de sa fenêtre. Elle hésite, pars. Puis revient, regarde le soleil pour se rendre compte de l’heure qui avance. Tu la regardes faire en souriant, ta mère l’aiguille, puise elle finit par en choisir un. Un seul comme à chaque fois. Une fois emballée elle repart avec. Tu te tournes et regardes tout le boulot qu’il te reste à faire. A savoir ranger tous les bacs, remettre le poisson qui reste et tout emporter chez toi. Ou chez un autre pêcheur. Tu ne sais plus qui garde les restes aujourd’hui. Tu te mets au travail sans plus attendre, pendant que les dames continue leur vente. Alaric t’aide, il te regarde du coin de l’œil, comme s’il essayait de voir si tu étais en train de le reluquer. Alors que ta tête est plongé dans le poisson, l’odeur nauséabonde ne t’atteint même plus tant tu y es habitué. Tu sens une main sur ton épaule, tu te tournes te trouvant nez à nez à une jeune femme blonde qui te parle. Elle t’adresse un clin d’œil. Tu fronces les sourcils essayant de mettre un nom sur ce visage familier. Ivy. Un sourire se dessine sur ton visage. Elle veut t’emmener manger, bien. Bien. Sa phrase suivant est adressé à Alaric qui ne comprend rien à la situation. Tu n’as même pas le temps de répondre quoi que ce soit que la jolie blonde saisit ta main et te tire vers elle t’obligeant à suivre sa direction. Tu adresses un signe de tête à ta mère, puis tu finis par marcher au même rythme que la jeune femme. Cela fait un moment que tu e l’avais pas vue, ça se compte en années. La petite copine de ton frère. L’ex de ton frère. Tu as envie de la serrer dans tes bras, mais tu ne fais rien. La dernière fois que tu l’as vue les choses ne s’étaient pas bien passées. Du moins entre ton frère et elle. Oh, et puis. Tu l’attrapes sans qu’elle n’ait le temps de s’opposer, la soulevant du sol de quelques bons centimètres. Tu la serre fort contre toi, avant de la reposer au sol. Je crois que tu as fait un heureux. Il va surement penser que tu es ma petite amie. il en faut peu, pour que les gens commencent à parler ici. Alors que tu tiennes la main à une fille. C’est largement suffisant. Tu rigoles. Où tu étais Ivy … ?

Tout est allé vite. C'est souvent le cas avec Ivy. Elle bouge, remue, agit. Telle une abeille qui butine. Dorée. Volage. Lorsque son regard se posa sur la silhouette de Nahele, elle devait y aller. Devait le voir, le toucher, lui parler. Cela faisait si longtemps. Pourtant de retour depuis quelques mois, elle avait attendu. Avec lui. Avec les autres. Tous les autres. Elle avait besoin de temps. Plus maintenant. Plus avec lui. Quelques secondes, quelques regards avait suffit. Elle trottinait vers lui et l’attira à elle d’un naturel déconcertant. Comme si rien n’avait changé. Comme si hier encore, elle le repoussait. Comme si hier encore elle l’appelait “la Glue”. Comme si hier encore elle comprenait qu’en fait, le plus intéressant des frères était le plus jeune. Comme si hier encore … tout le reste ! Nahele faisait partie d’un tel bout de son histoire. Le voir pouvait faire autant de mal qu’autant de bien. Elle le savait. L’acceptait. Le jeune homme se laissa emporter par la jeune femme. L’espace d’un instant ses long cheveux blond se mélèrent à ses longs cheveux bruns. A l’écart de l’échoppe, quelques secondes passent. Ils se regardent. silencieux. Ivy sourit. Toujours. Il hésite puis craque. Soulève la petite chose dans ses bras plus musclés que par le passé. Ivy ferme les yeux un instant. Profite. Tout simplement. L’odeur de lessive du débardeur de Nahele lui rappelle les nuits passées sous le toit des Ateara. Retrouvant le sol, elle garda l’une de ses mains dans celle de son ami et remua l’autre, discrêtement, presque un peu génée, en direction de la mère de famille qui au loin observe les retrouvailles.

Nahele prend la parôle. Ivy rit et secoue la tête. Il faut croire que certaines choses ne changent jamais … dit elle en un petit haussement d’épaule. Il y avait tant de chose à aimer à Almayer. Mais également tant à regretter, à l’image de certains comportements. S’il n’y a que ça pour égayer sa journée, je le plains de tout mon être. Notre blondinette fit quelques pas en direction de la place principale du marché. Un peu plus loin. A l’abri de certains regards. Elle reposa ses iris profonde dans celles de Nahele et sourit de plus belle. Elle posa sa main de libre sur la joue du jeune homme. Attendrie. Heureuse. Bon sang ce que ça fait du bien de te revoir. Tu es magnifique Nahele ! Elle inspire et expire profondément. C’est vrai qu’il est beau. Elle tente d’analyser chaque courbe de son visage. Il a changé et pourtant si peu. C’est étrange. Paradoxal. La mémoire est un terrain changeant. Il interrompt ses souvenirs. Lui pose la question. Son sourire en coin, plus léger, elle hausse à nouveau les épaules. Tu sais bien moi … Libre comme l’air, la planche sous le bras. C’est ce dont j’avais toujours rêvé. Elle en avait tant parlé la jeune Ivy. Tant parlé. Tant rêvé. Et puis un jour elle avait filé. Un contrat sur la table et la petite s’envolait. Cela s’était fait rapidement, sans trop y penser. Elle se l’était interdit. Trop réfléchir s’était s’assurer de culpabiliser. De laisser les autres, de le laisser lui, Nahele. Le laisser alors qu’elle s’était secrètement investie d’une mission de protection. Ne pas l’abandonner. Ne plus laisser son frère lever la main sur lui, sur quiconque d’ailleurs. Et pourtant. Elle était partie. Ses lettres avaient-elles pu combler son absence ? Comment savoir ? Comment imaginer que lui aussi était parti ? Son frère à lui. Son ex à elle. Elle ignorait. Tant de chose encore. Mais dis moi : comment vas-tu, toi ?! Je veux tout savoir ...

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