« cette fois déjà le soleil avait jailli, radieux ou attristé, de cette cuve immense de la mer dont les bords ne se laissent qu'à peine apercevoir ; cent fois il s'était replongé, étincelant ou morose, dans son immense bain du soir. depuis nombre de jours, nous pouvions contempler l'autre côté du firmament et déchiffrer l'alphabet céleste des antipodes. »

PEAYNE/MGX/JOHANNA HERRSTEDT/L'INVITATION AU VOYAGE/(©BAUDELAIRE)

   
   

 

les mains familières.

enfermée.
enclavée.
séquestrée.
détestée.
amourachée.
totalement sous le charme de son stockholm enragé.
tout ce qu'elle connaît, c'est la cave.
c'est ses mains qui la gravent.
c'est les repas chauds qu'il lui amène,
et qu'elle laisse refroidir, tout comme sa peine.
les premiers temps, ça a été dur.
il a fissuré son armure.
mais aujourd'hui, elle ne saurait lui exprimer
combien elle est heureuse de le connaître
et combien elle lui appartient de tout son être,
pour l'aimer.
le chérir.
se laisser dépérir.
elle aime quand il la touche,
même si ce n'est que pour subir la douche
froide qu'est le fait d'apprendre
qu'il va la vendre.
la prêter
au plus offrant,
mais pas au plus méritant,
mais surtout à ses clients,
parce qu'il n'a aucun respect pour sa victime qui le regarde si avidement.
alors elle attend d'être libérée,
même si elle ne pense qu'à ses mains pour la réchauffer.

   

gris ciel.

cendres, c'est l'éphémère.
c'est qu'un cratère
de la terre que l'on a évidé,
que l'on a éventré
pour en faire ce que l'on en voulait.
mais elle demeure sauvage.
dans la fleur de l'âge.
blessée,
trop sensible,
trop versatile,
une femme égorgée.
poignardée.
c'est l'effet mer.
parce que cendres, c'est qu'une écume,
qui vient s'écraser avec violence contre la plage,
qui s'affale sur le bitume,
tente de ravaler sa rage.
c'est une tornade
qui refuse de rester en rade.
une douceur telle qu'une fée,
les fées mer.
qui irait embrasser
ses lèvres charnues
d'un chérubin ingénu
venant s'approcher trop près de la lisière,
entre folle et raison,
voguant sur l’accordéon
de la vie,
de ses envies,
agressée par les moindres accolades,
ne connaissant que les griffures,
rien qu'une naïade,
qui panse ses blessures.
cendres n'oscille qu'entre le blanc et le noir,
s'appuie
sur le gris,
pour survivre dans les ombres du soir.

   

Citation :

depuis trois jours déjà, le ciel pleure. tout est gris, partout. tout. une jeune fille s'approche d toi. entre ses doigts, une multitude de tubes de peinture et deux grands pinceaux. "tu viens repeindre le monde avec moi ?"

gris.
gris ciel.
gris mer.
gris.
une jeune fille privée de ses ailes,
loin d'être exemplaire.
une sauvage,
dans la fleur de l'âge.
gris.
ça la déprime, ce monde dépourvu de couleur.
ça lui fait mal au cœur.
pieds nus sur le carrelage froid,
elle évolue dans les couloirs étroits.
c'est vide.
livide.
aujourd'hui, rien n'est beau.
rien n'est chaud.
parce qu'il fait gris.
plus personne ne ris.
c'est triste.
cendres, elle aimerait être alchimiste,
pouvoir redonner vie à ce monde dépourvu de sensations,
d'explosions,
de peurs,
et de couleurs.

quand une jeune fille s'approche,
cendres décroche.
elle lui décoche
un regard plus noir que la roche.
grogne presque sur la belle
hirondelle
si pure, qui vient lui proposer son aide.
"tu viens repeindre le monde avec moi ?"
cendres tourne la tête sur le côté,
sans comprendre réellement le sujet.
ses grands yeux bleus s'ouvrent de surprise,
tant les tubes de peinture l'attisent.
elle hoche vivement la tête,
quittant son aspect de bête.
« gris... tout... gris. couleurs. rouge. bleu. arc-en-ciel. »
elle bafouille sous l'excitation
que lui procure l'idée de l'abolition
de cet esclavage morne,
afin qu'elle orne
bientôt les murs de ses fantasmes,
de ses idées,
de ses rêves déchus et évidés,
pour qu'enfin elle se détache de ses marasmes.
qu'elle vive, pour elle
et non pour l'idée qu'elle se fait de lui,
qu'elle puisse dormir la nuit,
et cesser de penser qu'elle n'est pas assez belle.

alors elle accepte,
sur la jeune fille partout où elle ira,
pour seulement espérer la rédemption,
devenue adepte
de cet homme ingrat,
qui ne méritait pas une seule attention.
elle va écrire sur les murs, un peu partout,
à quel point l'amour est fou,
à quel point elle continue de l'aimer,
alors même qu'elle ne fait que le détester.
à quel point elle aimerait le tuer,
cet enfoiré qui l'a enfermée.
elle va écrire l'inexprimable,
l'intolérable,
dans des couleurs vives et insondables,
pour les âmes impardonnables.