Citation :

à la pension, dans la salle principale, il y a ce grand piano, pas très bien accordé. la gamine laisse traîner ses doigts dessus, répétant inlassablement quelques notes identiques qui ne riment à rien. et puis, elle se retourne vers toi et sourit.

un rayon de soleil perça les nuage gris et vînt délicatement réchauffer sa joue. chaud, doux. un sourire se dessina sur son visage si souvent impassible, dénué de toute émotion. la grande salle était quasiment vide. elle est tel un soleil, si soudainement. si personne n'était là, elle se poserait telle une plume sur le coussin moelleux recouvrant le siège du vieux piano et jouerait, encore et encore. ses doigts courraient si vite, avec tant de précision, de doigté qu'elle tremblerait de bonheur. malgré le fait que ce vieux bout de bois soit désaccordé, elle savait le faire merveilleusement chanter. un rêve détruit. appuyée contre la fenêtre, sa respiration laissait une nuage de buée sur le carreau glacé. dehors, les dunes, puis la mer, déchaînée. la mer. la mer. elle ferma les yeux et imagina les vagues caresser son corps nu, glacé, maigre. elle imaginait les vagues chaudes, agréables. comme elle aimerait disparaître dans les profondeurs de cette mystérieuse étendue sombre. une larme roula sur la joue pâle. un rêve détruit.
la fille jouait inlassablement ces trois notes. ré, la, do ... ré, la, do ... des cheveux, blonds, tombaient le long de son dos. toute menue. des mains fines, même maigres mais magnifique. ré, la, do ... ré, la, do ... une robe bleue. fantôme du passé. elle regardait ses doigts pianoter, ou du moins, sa tête était penchée vers le clavier abîmé. une familiarité déconcertante. la jeune femme la fixait, telle une mère lionne se sentant en danger. c'était son piano. personne d'autre n'y jouait ici. et cette gamine ... d'où sortait-elle ? ré, la, do ... ré, la, do ... arrête ! ça suffit, merde ! arrête. mais finalement ces notes, si simplement jouées, apparaissaient comme une mélodie à ses oreilles. tu es en train de faire mourir. peu à peu, les membres de la jeune femme perdirent leurs liens invisibles et elle s'approcha de la petite. petite conne, ne crie pas si fort. maman. le bordel dans son esprit mais toujours les idées claires. ré, la, do ... elle n'était pas folle, juste dérangée, hantée jusqu'à la fin de sa vie par ces visions d'horreurs, ses douleurs psychologiques, corporelles. la gamine continuait sa mélodie puérile, harmonieuse. la jeune femme contourna le piano mais même en face d'elle, son visage lui échappait, caché dans la masse blonde de  ses cheveux.
la jeune femme retourna rapidement derrière la gamine, de plus en plus gênée mais intriguée. crie mon nom, dis-moi que je te fais du bien, salope. tellement de violence dans sa tête. perdue, je suis perdue. sur le point de pleurer, elle hurla. la gamine cessa sa course sur les touches du piano pour se retourner et lui sourire. c'était elle. elle quand elle était petite. ces yeux, ses yeux bleu océan, bleu mer, bleu océan mer. c'était les siens, c'étaient les leurs. elle ferma les yeux et puis plus rien. les yeux océan mer avaient disparus.